Rencontre entre Yves et Tommy
Rue Passemillon, vendredi de foire au jambon. Il est 19 heures et je rentre chez moi. Eric, un ami chanteur d’Oldarra, boit un verre avec un homme d’une trentaine d’années qu’il me présente comme « nouvel et éphémère chanteur » du chœur biarrot. Je ne connais pas son visage, et pour cause. Tommy est allemand et étudiant à Bayonne en commerce international. Enfin je crois, parce que le brouhaha de la foule m’empêchait de tout entendre avant qu’Eric ne m’invite à boire un verre et que je me rapproche.
Bien m’en a pris, car le parcours de Tommy méritait vraiment une halte. Il n’est là que depuis quelques mois et d’une famille de musiciens. Originaire d’un village de l’autre côté de la frontière germano-suisse, la grande ville la plus proche est dans le pays d’en face et c’est Bâle. Tommy a un accordéon dans son sac à dos. Il ne s’en sépare jamais quand il part en fête.
Incapable de vivre sans musique et sans chant, il s’est présenté à une audition d’Oldarra en fin d’année dernière, et son adoption fut immédiate. Voix juste, « baryton et deuxième ténor » me dit-il, grosse faculté de mémorisation phonétique, lecture aidée du solfège, le jeune Allemand s’est vite fait une place. Quelques mois avant, lors d’une autre pause estudiantine, il avait intégré un autre chœur à Bilbao.
Tommy va terminer son cursus bayonnais avant de partir pour Buenos Aires. A l’évocation de la vie d’Oldarra et des péripéties qui marquent toujours la vie d’un groupe, je suis saisi par son niveau d’intégration qui fait qu’aucun prénom de chanteur ne lui est étranger. Tommy ne traverse pas l’existence d’Oldarra, il en est et en parle comme d’une partie de sa famille. Son français est très correct et je suis sûr, à l’entendre prononcer le nom de sa future destination, qu’il n’a déjà plus de grosses difficultés avec la langue de Cervantes.
La confiance s’installe immédiatement dans la conversation. Le hasard de son épisode local, a fait qu’il a pu être le témoin d’un des moments les plus marquants de la vie d’Oldarra. Il va me parler, dans son accent guttural et paradoxalement très adouci par sa jolie voix, du départ du chef de chœur fusionnel et emblématique Iñaki Urtizverea. Lui, l’étranger de passage, n’oubliera jamais ce moment où, à l’issue d’une répétition précédant le concert du Noël dernier en l’église Ste Eugénie, Iñaki a demandé le silence pour à ses chanteurs SA décision de quitter la direction de ce chœur devenu la chair de sa chair.
On aurait entendu une mouche voler et Tommy a compris là qu’il était invité à un de ces instants suspendus qui font la vie d’un groupe. Le berger unanimement admiré, parfois craint aussi, pour son exigence sans concession, quittait son troupeau. Iñaki a forgé le son d’Oldarra et il posait les outils. Sa philosophie tenait en une expression : « une seule et même émission sonore ». La voix, même brillante, qui tentait de se faire remarquer uniquement pour ce qu’elle était, se voyait priée d’aller voir ailleurs.
Tommy a compris tout ça et m’a parlé de cet adieu avec l’émotion d’un véritable artiste dont le privilège restera toujours de se laisser traverser sur le champ -le chant ?- par la densité d’un adieu qui fera à jamais un chanteur d’Oldarra. Un adieu dont, à en juger par l’émotion avec laquelle il m’en a parlé, lui parlera pour toujours du Pays Basque dont il peut désormais et à jamais se sentir habitant.
Billet d’Yves Ugalde, posté sur son profil Facebook, reproduit avec son autorisation.
Tommy, le plus basque des allemands!
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